CHRISTIANE ANGIBOUS-ESNAULT

Le décor, un personnage à part entière

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Comment amener un lecteur à traverser la page d’un livre pour entrer de plain-pied dans l’histoire ? Quels sont les besoins de l’écriture pour qu’il rejoigne la scène depuis son fauteuil ? Pourquoi se retrouve-t-il en train d’agir en même temps que les personnages tout en restant confortablement assis ?
Aujourd’hui, je vous parle de l’importance des repérages qui donnent toute leur force au décor.

De l'importance des repérages

Pourquoi le lecteur se retrouve-t-il en train d’agir en même temps que les personnages ? Qu’est-ce qui fait qu’il est embarqué dans l’histoire ? Il court avec Augustin dans les vieilles rues de Chartres, mange des gâteaux avec Octave dans une pâtisserie pleine de gourmandises et bricole avec Manon sur le bord d’une piste de karting, tout cela en restant confortablement assis, le livre entre les mains.

Savoir de quoi on parle

Bien évidemment, l’auteur ne peut pas visiter l’ensemble de la planète ni escalader l’Himalaya sous prétexte que son héros fait l’ascension de l’Everest. Il y a cependant plusieurs façons de découvrir le monde et d’en faire son décor. Les sources sont nombreuses. Le meilleur moyen d’asseoir son histoire est de bien l’habiller dans des décors adaptés. Alors il faut partir en repérage. Cela est d’autant plus vrai et nécessaire lorsqu’on écrit des romans de science où la part de la recherche et de la connaissance du patrimoine doit s’avérer la plus juste possible afin que le livre puisse devenir lui-même une ressource pédagogique au-delà du divertissement littéraire.

Les voies du repérage

Le repérage peut être physique. Par exemple, j’ai arpenté Chartres de long en large pour l’histoire d’Augustin « La gargouille chante », parce que Chartres est près de chez moi et c’est à la suite d’un séjour au Fort d’En Tal sur l’île de Houat que « Mystère sur la dune » a surgi du papier.

Site de la Grande Dune, information auprès de Carl BetrancourtJ’ai également le souvenir ancien et les photos d’autres lieux que j’ai découverts, aimés ou détestés, qui feraient un très bon décor. Ainsi, le Lubéron en Provence fait partie d’une prochaine aventure de mes personnages tout comme il l’a été partiellement pour la nouvelle « Enfermé dessous, dessus ! ».

Si me déplacer in situ s’avère impossible, eh bien pas de problème. Je me plonge dans la documentation en multipliant les points de vue. Ainsi la littérature, les photographies, les documentaires, les articles de recherche, les sites Internet, les rencontres et les échanges sont autant de sources d’information que je peux compiler pour valider mes besoins. C’est cette voie qui est retenue dès que les aventures d’Augustin se déroulent sur les grands sites touristiques ou archéologiques étrangers sur lesquels je ne suis jamais allée ou ne puis me rendre.

Le parfum du repérage

Comme nombre d’auteurs en donne le conseil, avoir toujours avec soi de quoi noter et photographier est encore la meilleure chose à faire. En effet, le monde qui nous entoure fournit à lui tout seul des environnements incroyables. Il suffit de savoir regarder et de se laisser envahir par les sensations. Car un décor, ce n’est pas seulement de l’architecture ou un paysage, c’est aussi des couleurs, des odeurs, une atmosphère.

Ainsi, une vieille rue sera peut-être marquée par des enseignes, une pente, des pavés, des maisons tordues, une rigole, des coins sombres, des creux sentant mauvais, un parfum d’arbre en fleur dans un courant d’air, des plantes perçant les murs, un chat à la fenêtre d’une lucarne, etc. Autant de détails et de sensations qui seront notés dans votre base de données et feront les particularités d’un moment de votre histoire.

La capture du repérage

Vous êtes pressé, vous ne pouvez pas vous arrêter ni revenir en arrière ? Vous êtes en attente du bus et vous tuez le temps en décortiquant votre environnement ? Les lieux traversés ne vous procureront pas la même sensation selon votre état. Dans les deux cas, notez, enregistrez, photographiez.

Selon votre disponibilité, vous le ferez alors dans votre tête avec tous vos sens en éveil ou bien sur des outils dédiés. La création ne part pas de rien. Votre restitution sera le terreau de votre histoire et votre état de réception, donc de perception, fera partie de la situation dans laquelle se trouvera votre héros ou ses comparses.

Les personnes qui évoluent autour de vous sont également importantes. Si elles n’interviennent pas directement dans l’intrigue, elles interfèrent cependant avec le décor. L’environnement influence leur comportement. Observez et notez comment elles agissent ou réagissent, comment elles se tiennent ou comment elles marchent : il pleut, il vente, le soleil incite à trouver de l’ombre, il y a foule, les rues sont désertes, la personne a l’esprit ailleurs ou au contraire elle est attentive, voire craintive. Tous ces comportements en symbiose avec l’environnement feront vivre votre décor.

Les outils du repérage

Quels outils utiliser pour ces captures impromptues et variées ? Pour ma part, beaucoup d’informations passent par mon smartphone. L’appareil photo du téléphone est le premier outil utilisé car on va dire que je cours toujours un peu trop pour me poser et noter. Mais parfois on n’ose pas “voler” des images. Alors une description orale rapide au dictaphone peut être suffisante. Dans l’urgence, je n’utilise pas souvent autre chose.

Avec un peu plus de temps, je prends des notes dans l’application Evernote en version Basic, synchronisée directement avec mon ordinateur et en partage avec mon compagnon. Ainsi nous pouvons saisir des informations ensemble chacun de son côté sur le même fichier. Lui qui prend le train bien plus souvent que moi peut enrichir mon projet par ses propres observations : une personne particulière, une conversation entendue, un fait divers, une histoire drôle. Evernote permet de joindre à la note des fichiers, des videos et des photos. Si vous ne voulez pas aller aussi loin, l’appli Notes du téléphone peut suffire, textes à récupérer lorsque vous sauvegardez votre téléphone sur votre ordi ou… à recopier !

Enfin, j’ai toujours un carnet à pages blanches dans mon sac à main, un crayon mine et un feutre. J’aime bien dessiner et croquer sur le vif même si je ne le fais plus très souvent. Cependant, un croquis ou un plan sont parfois très utiles pour vos futures histoires, comme par exemple le chemin parcouru pour trouver une sortie, quatre personnes louches qui bavardent au coin d’un pilier, etc. Les styliser en traçant l’environnement rapidement suffit pour votre mémoire.

Comme au cinéma

Vous avez la chance de pouvoir aller sur les lieux dont vous avez envie de parler et vous décidez de consacrer un temps dédié à ce repérage, c’est le must. Votre personnage sait déjà plus ou moins ce qu’il va y faire ou, au contraire, vous vous demandez bien ce qu’il pourrait faire en ces lieux. Alors vivez votre scène. Allez-y, parcourez, visitez et mettez-vous en situation. Troquez votre rôle avec celui de votre héros et faites comme lui. Laissez-vous guider. Interagissez avec votre environnement. Des situations que vous ne pouviez pas imaginer vont apparaître d’elles-mêmes. Rien de mieux que de jouer les scènes pour pouvoir les transcrire ensuite sur le papier. Et si vous êtes accompagné, faites vous prendre en photo.

Si plusieurs endroits vous ont plu et qu’une seule scène aura lieu dans votre intrigue, alors faites, là aussi, comme au cinéma. Composez votre set sur mesure. Assemblez, décomposez, reconstruisez. Votre livre est cousu main, vos décors peuvent l’être également.

Et le lecteur dans tout ça ?

Qui n’a pas cherché dans le générique des films la mention des lieux ayant servi au tournage ? Star Wars, Game of Thrones et tant d’autres, apportent autant la découverte de sites réels bien implantés sur notre belle planète ou la référence à des lieux emblématiques, que le plaisir de sites fantastiques dans lesquels on aimerait bien se trouver. Mais pour les jeunes, j’ai pu constater que le plus gros impact est le constat fait à partir de leur question : « Alors c’est vrai ? Ça existe ? Je peux y aller ? ». Oui, la présence d’une réalité vérifiable est toujours un énorme plus et plusieurs d’entre eux ont alors absolument voulu voir les lieux mentionnés dans mes histoires. Un livret « Le vrai du faux » les informe à ce sujet en fin de livre. S’ils passent par Arcachon, ils pourront vraiment voir le site de fouilles de la Dune du Pilat, noyau du roman « La dune errante ». C’est alors que l’histoire entre un peu plus encore dans leur univers.

J’avoue que je me comporte comme les enfants et ados pour lesquels j’écris. Je n’ai eu de cesse de découvrir l’île du Nègre dont parle Agatha Christie ou Mount Polbearne que nous narre Jenny Colgan. Je n’ai pas pu encore aller voir l’intrigante île irlandaise Skellig Michael de Luke Skywalker mais j’espère le faire un jour. Tiens, bizarre, que des îles ? Non, je rêve aussi de parcourir les magnifiques paysages de Nouvelle Zélande, décors de si nombreux scénarios.

Ainsi, découvrir à la fois l’univers de l’auteur, les merveilles de la nature, le prodige humain des anciennes civilisations, le futur de la recherche et tout simplement ce qui nous fait vivre est un puissant levier pour nous enrichir et nous faire avancer tout autant que d’assurer le succès d’une histoire. Aussi, ne négligez pas les repérages. Ils sont un des soubassements de votre construction. Ce sont de bonnes fondations au même titre que le caractère de vos personnages et que votre intrigue.

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